Moment partagé

Le ciel était plus haut.

La nappe de brouillard s’était défaite, et les arbres étaient libérés de leur fourreau de glace.

Après une semaine de brume givrée et opaque, je distinguais presque la silhouette du soleil.

Cheval, veux-tu sortir brouter aujourd’hui ?

Oui ? Alors, va.

Je lui passe le licol, pose sa longe sur son dos, et je lui ouvre.

Je sors derrière lui, et je me dirige vers la parcelle du fond.

Elle est à l’écart, peuplée de machines agricoles et de balles de foin.

Je m’imagine déjà m’asseoir à l’abri du vent et des regards curieux, et offrir mon visage aux timides rayons lumineux.

Je sais aussi que l’herbe y est plus haute.

« Aussi ? Tu viens ? « 

D’un geste, je l’invite à me suivre.

Il pointe les oreilles vers moi, et met en route ses pieds. Le nez au ras du sol, il scanne les herbes, les feuilles mortes, les glands, les crottins des autres.

Il suit, 20m derrière, à son rythme, sans me perdre du regard.

Les nuages laissent percer le soleil. Il me rejoint dans l’herbe, et se décide à brouter.

Je m’accroupis et pose mes mains sur le sol humide. Terre, je te rends les agitations…

Le temps s’arrête.

Voici C. qui s’approche. Je dois lui montrer comment utiliser mon van.

Nous allons vers le parking, je jette un regard vers Aussi, ne sachant pas trop s’il voudra rester seul à brouter. Je hausse les épaules, il m’entendra m’éloigner, avec le bruit de la conversation.

Quelques minutes d’explications plus tard, le groupe des chevaux du parc du fond s’explose soudainement en chevaux-dragons.

Je vois le responsable, Aussi, puissant dans son galop, le regard alerte, rentrer ventre à terre vers sa zone connue. Il longe le poulailler comme avec des fantômes à ses trousses, puis débouche sur le parking où nous sommes.

« Aussi ? Je suis là. Tu viens ? »

Il ralentit. Tourne vers nous, et s’arrête à quelques mètres.

« Tu t’es retrouvé tout seul là bas et tu as eu peur ? »

Il vient droit vers moi, oreilles pointées vers l’avant, et bout du nez sur mes mains.

Je l’effleure doucement.

C. dit d’un ton émerveillé quelques mots à propos du fait que quand Aussi a peur, il revient vers moi.

Je réalise que oui, c’est vrai.

Je m’émerveille aussi.

« Tu voudrais quelque chose à grignoter ? Regarde, j’ai quelques granulés de luzerne ». Il mange, puis oriente son attention vers l’herbe qui entoure le van. Sa tension redescend.

Je termine les explications, C. repart, et je retourne vers la zone herbeuse. Aussi sur les talons.

Le soleil est plus franc.

Je m’adosse au foin et me laisse réchauffer.

Je souris.